Le passage à niveau
Philippe Routier [Routier, Philippe]" Adolescent, il aimait se rendre sur le triage du Bourget avec des
camarades. Quand ceux-ci se contentaient de regarder les wagons dévaler
les bosses et les enrayeurs freiner les bolides en posant sur la voie de
petits sabots d'acier, Guillaume, lui, jouait l'intrépide. Il
choisissait un convoi sur le point d'être expédié, se glissait dessous
entre les bogies et rampait d'un wagon à l'autre en écoutant, pendant
les essais de freins, les pièces de métal se plaquer contre les roues
avec fracas, pour enfin les lâcher. Le plus excitant, c'était de repérer
le moment où le train s'ébranlerait pour partir, et de sortir de la
voie in extremis. Les premières fois, Guillaume roulait sur les
accotements au plus petit choc de tampons. Puis, avec l'expérience, il
apprit à déceler l'instant exact où tous les attelages étaient tendus et
la locomotive sur le point de tracter l'ensemble. Il sut alors comment
sauver sa peau à la seconde même où le train démarrait. La sensation qui
suivait était toujours délicieuse. Il se retrouvait sur le dos, la
respiration libérée, sur un tapis de mâchefer et d'herbe, tandis que le
convoi défilait à deux mètres en prenant de la vitesse. "